Michael Clayton – Le signe des temps

– I’m not the ennemy.
– Then who are you?

Deux jours que je l’ai vu et je n’arrive pas à savoir si le film de Tony Gilroy est surcoté ou bien si c’est juste un film daté.

D’un côté, il y a la critique du capitalisme, ou même du néo libéralisme, qui m’a bien entendu séduit, et qui reste très actuelle. Elle est bien servie par un montage malin – sans qu’il ne réinvente la poudre – et par des personnages plutôt bien écrits.

Mais de l’autre, il y a cette fin qui m’a laissé sur le bord de la route, que j’ai regardée incrédule et dont je peine à vraiment comprendre en quoi elle est la révolution que tant de gens semblent y voir. De deux choses l’une pour moi : au mieux Gilroy fait preuve de naïveté et choisit de croire que le status quo peut être renversé – en dépit d’une réalité qui pourtant balise tout le reste du film et dont on sait qu’elle ne permettra absolument pas cette issue. Au pire, sa pirouette scénaristique absolument impardonnable est une tentative désespérée de rassurer les producteur-ice-s hollywoodiens afin de sauver les films à budget moyen pour adultes à qui il reste des neurones – et qui malgré tout, 20 ans plus tard ont définitivement disparu de la circulation.

Un bilan en demie teinte donc, parce que jusqu’à cette séquence, le film m’avait plutôt emballé dans sa mise en scène et surtout son observation de la Corporate America. Gilroy pioche dans toute la grammaire cinématographique des 70’s, décennie de la paranoia par excellence, pour raconter quelque chose de terriblement actuel : la puissance sans limite des entreprises. La question qui peuple tout le film étant : où est l’État ? Qui régule ces sociétés que rien ni personne ne semble vouloir – ni pouvoir – arrêter ?

Et ce questionnement, Gilroy choisit de le faire vivre non pas au travers des dirigeants de ces mastodontes, mais plutôt en observant les – relatives – petites mains. Des « salarié-e-s » (les avocats ne se rémunèrent pas comme ça mais peu importe) pris dans un tourbillon financier qui les dépasse et qui bien souvent révèlent la nature creuse ou vaine de leurs actions non seulement au sein du système qui les porte mais aussi – et c’est bien plus inquiétant – au sein de leurs structures respectives.

Gilroy attache énormément d’importance aux noms, aux postes, aux descriptifs de ces trois personnages principaux – Clooney, Swinton, Wilkinson – parce qu’il a compris que c’est l’énergie qui fait avancer le système. Le Capitalisme est avant-tout une question de représentation :
– pour Clooney c’est la façon dont il est perçu par les uns et les autres (You’re a lawyer to all these cops and a cop to all these lawyers) et dont il est nommé (You’re a bagman / I’m a janitor), appellation à laquelle il est sans cesse renvoyé, peu importe ses éventuelles velleités d’ascension ou d’échappatoire
– pour Swinton c’est la façon dont elle répète un verbage pompeux censé expliquer ce qu’elle fait, inévitables répétitions qui interviennent avant ses apparitions vidéos ou live, comme celles d’une actrice avant ses représentations, c’est aussi le soin apporté au costume parce que c’est exactement ce qu’elle est : une interprète sur la scène corporate
– pour Wilkinson, c’est le pétage de plomb filmé par une caméra DV, l’ancêtre du smartphone (et il y a fort à parier que si le film sortait demain, une des plus grosses problématiques de Kenner, Bach & Ledeen serait d’empêcher les reposts de cette séquence sur Instagram ou TikTok), qui laisse entrevoir quelque chose derrière le costume qu’il enlève, la nudité comme seul moyen de faire tomber l’étiquette extrêmement rigoureuse sur laquelle le système tient

Ces trois personnages sont des acteur-ice-s, victimes de la pression inhérente au système économique qui les rémunère et donc les tient. Soit ils et elles acceptent les règles du jeu (mais finiront vraissemblablement broyé-e-s ou complètement déconnecté-e-s de leur humanité), soit ils et elles cherchent à s’en échapper (mais ne peuvent pas) soit ils et elles veulent le changer (sans y parvenir non plus).

Et puis il y a le dernier plan. Souvent cité comme l’une des plus belles fins de film du XXIème siècle, j’ai la sensation – peut-être injustifiée – qu’il est plutôt mécompris. Mais je ne sais pas très bien quoi en faire non plus dans la mesure où à mon avis il vient contredire la séquence qui le précède. Peut-être est-ce que celui-ci a été pour Gilroy une façon de contrecarrer une fin « de producteur-ice-s ». Mais ce long plan m’inspire à moi plutôt un sentiment d’impuissance qu’une célébration ou même une pause bien méritée avec un travail rondement mené.

Peut-être que le réalisateur entretient effectivement lui-même le flou. Le contraire serait décevant.